PH. 3, TEXTE 3, ÉPICURE

La morale d’Épicure

Épicure est un philosophe grec du 3e siècle avant Jésus-Christ(341-270).  Sa doctrine morale est centrée sur le bien de la personne individuelle.  L’individu, d’après Épicure, doit chercher le bonheur dans le plaisir.  Mais, comme on le verra dans ce qui suit, Épicure ne parle pas de n’importe quel plaisir.

 Le plaisir est d’abord physique

 La recherche du plaisir, dit Épicure, est un mouvement naturel, que les humains ont en commun avec les animaux.  Comme êtres vivants pourvus de sens, nous cherchons à éviter la faim, la soif et le froid.  Ainsi, l’enfant nouveau-né désire le calme et la quiétude que lui procurent la nourriture et le vêtement.  C’est ce que tous les humains, fondamentalement, recherchent toute leur vie.  Notons qu’il s’agit ici de simples besoins physiques.  Mais, d’après Épicure, tous les autres besoins se greffent sur les besoins physiques.  Par conséquent, même les besoins (et les plaisirs) de l’esprit se greffent sur les besoins physiques.

Épicure a formulé cette idée d’une façon frappante: il dit que la source de tout bien, c’est le plaisir de l’estomac.  Il veut dire que manger est un plaisir, mais aussi que le fait de n’avoir ni faim, ni soif, ni froid libère des servitudes du corps.  Une fois les besoins fondamentaux satisfaits, en effet, on peut mieux se préoccuper de ses désirs, de ses espoirs et de ses craintes.  On est donc en meilleure position pour rechercher ce plaisir suprême de l’esprit qu’Épicure appelle la paix de l’âme.

Épicure ne réduit donc pas la sagesse à la recherche du plaisir physique.  Mais il affirme  qu’on doit d’abord satisfaire son corps, si l’on veut aspirer à une sagesse supérieure.

 Le summum du plaisir

 D’après Épicure, on atteint le plaisir maximal lorsque, le corps se sentant bien, on se trouve dans un état complètement dépourvu de douleur et d’anxiété.  Lorsqu’on atteint cet état, on est au summum du plaisir.  En effet, on ne peut alors qu’ajouter des plaisirs non nécessaires, ou encore ajouter des plaisirs accompagnés de douleurs.

Lorsque, par exemple, on varie la nourriture qu’on consomme, on ne fait que se déplacer horizontalement au sommet de la satisfaction.  Si on se met à consommer des mets recherchés (du caviar, du champagne, etc.), on n’augmente aucunement son bonheur global.  Il se pourrait même qu’on souffre de problèmes digestifs et que notre degré de satisfaction s’en trouve conséquemment diminué.   Quant à la satisfaction sexuelle, on verra plus loin qu’Épicure ne l’a pas en grande estime.

Bref, Épicure est loin d’être un hédoniste qui recherche le plaisir physique maximal.  Il recherche plutôt la perturbation physique minimale, qui permet de consacrer son énergie à ce qui est vraiment important, c’est-à-dire à la paix de l’âme.

Les limites du plaisir

D’après Épicure, plaisirs et douleurs ont des limites clairement définies.  C’est une erreur de penser que l’intensité du plaisir peut augmenter de façon indéfinie.  Le désir de manger, par exemple, finit par être rassasié, qu’on le veuille ou non.  De même, la douleur a ses limites.  Si elle est très intense, elle ne peut pas durer longtemps sans être soulagée par la mort.  Si elle dure plus longtemps, c’est qu’elle est relativement légère et peut donc être supportée sans trop de difficulté.

Le problème vient du fait qu’on s’exagère les douleurs physiques parce qu’on contrôle mal leur effet sur notre esprit.  Exemple: une personne se casse une jambe et s’en inquiète au point de s’en rendre gravement malade.  Cela signifie que l’esprit peut influencer le corps et que, dans un sens, les plaisirs et douleurs de l’esprit ont des effets plus graves que les simples plaisirs et douleurs du corps.

 Le choix des plaisirs

Épicure pense que le plaisir, c’est la satisfaction des désirs naturels et nécessaires qui font disparaître la douleur.  Il s’agit avant tout, comme on le sait déjà, d’éviter la faim, la soif et le froid.  Épicure considère que le corps exige ce genre de satisfaction et qu’il serait dangereux, pour l’esprit, d’ignorer ce genre de revendications.

Par contre, Épicure déconseille les joies de l’amour et de la sexualité, de la notoriété et du pouvoir.

Considérons d’abord les désirs sexuels.   Épicure les accepte à la rigueur,  à condition qu’on respecte les lois et les bonnes moeurs, qu’on ne dérange pas le voisinage, et qu’on ne dépense pas trop son corps ou son argent.  Mais, dit-il, il est bien difficile de remplir toutes ces conditions.  De plus, l’emportement de la passion est tel qu’il entraîne la douleur autant que le plaisir.  La passion menace donc la paix de l’âme, qui est l’objectif même de la vie heureuse.  Finalement, il conseille plutôt d’éviter la passion sexuelle.  Si on n’a pas pu l’éviter, il faut au moins la fuir, en appliquant l’adage: “Loin des yeux, loin du coeur”.  Bref, Épicure est très tiède à l’égard des satisfactions amoureuses et sexuelles: elles ne lui paraissent pas indispensables pour faire disparaître la douleur et on a de la chance, dit-il, si elles ne causent pas du tort.

 Épicure est-il plus tendre à l’égard de la recherche des honneurs, de la notoriété, de la gloire, ou du simple désir qu’on reconnaisse publiquement nos mérites?  Sans doute, dit-il, la notoriété et les honneurs donnent du plaisir.  Mais le monde des humains est un monde compétitif.  Dans ce contexte, la notoriété est une satisfaction peu sûre.  Elle risque même d’entraîner de graves problèmes, sinon de rendre la vie dangereuse.  (Pensons, par exemple,  aux mésaventures des responsables politiques, qu’agressent des personnes désaxées, ou aux inquiétudes des artistes, aux prises avec des “fans” incapables de se contrôler.)

Épicure, justement,  déconseille particulièrement les responsabilité politiques.  Il vaut mieux, dit-il, mener une vie simple et retirée.  C’est elle qui est le plus susceptible d’assurer la paix de l’âme.  Épicure, comme on le voit, n’a aucune perspective sociale.  Pour lui, chaque individu humain doit se préoccuper de lui-même et non de la société.  Mais il déconseille évidemment de faire des choses répréhensibles, ne serait-ce que parce qu’elles peuvent entraîner des ennuis qui font perdre la paix de l’âme.

 L’amitié

Comme on l’a vu précédemment, Épicure déconseille la passion sexuelle. Mais il recommande chaudement l’amitié.  L’amitié, dit-il,  est une relation de don mutuel où la fidélité est indispensable.  Il faut être fidèle à ses amis et ne jamais les abandonner dans le malheur.  Mais il faut choisir ses amis avec soin et réserver son amitié à quelques personnes seulement, car il s’agit d’une relation très exigeante.

L’amitié permet de mener une vie agréable, car elle nous apporte un sentiment de sécurité.  L’amitié joue donc un rôle important dans l’atteinte de la paix de l’âme qui est l’objectif de toute vie humaine satisfaisante.  De plus, l’amitié mène directement au plaisir, car elle permet de faire du bien aux personnes qu’on aime.  Or, on éprouve plus de plaisir à donner qu’à recevoir.

Autant la notoriété est pleine de dangers et d’insécurité, autant la vie simple en compagnie de quelques amis est sécurisante.  Il vaut beaucoup mieux survivre dans le souvenir de ses amis que grâce à une statue qu’on élève à nos exploits…

Bref, Épicure est un partisan d’une vie simple, où les besoins du corps ont leur place, dans la mesure où il s’agit des besoins de base et non de besoins superflus.  Pour lui, le critère de l’action morale, pourrait-on dire, c’est la satisfaction individuelle bien comprise.

Voir aussi:

http://antinomies.free.fr/epicure.html

 Source:

J. M. Rist, Epicurus, An Introduction, Cambridge (G.B.), Cambridge University Press, 1972, 185 pages